Decoding, fluency and reading comprehension: Examining the nature of their relationships in a large-scale study withfirst graders

Évaluations Impacts

Ecalle J., Dujardin E., Gomes C., Cros L., Magnan A. « Decoding, Fluency and Reading Comprehension: Examining the Nature of their Relationships in a Large-Scale Study with First Graders », Reading & Writing Quarterly, 37:5, 444-461, 2021.

Résumé :

Cet article interroge les relations causales à l’œuvre entre les trois composantes essentielles de la lecture : le décodage, la fluence et la compréhension. Il questionne également le rôle de la fluence comme variable prédictive de la compréhension de la lecture et vise à mesurer le seuil de fluence nécessaire pour accéder au sens d’un texte. Deux grands échantillons d’élèves francophones ont été évalués à deux reprises pendant l’année de CP : un groupe témoin (« Cont » ; N = 2302), qui n’a connu aucune intervention spécifique et un groupe expérimental (« Exp » ; N = 484), qui a bénéficié d’un programme d’apprentissage axé sur des compétences liées au code (décodage et fluence). Les auteurs ont estimé qu’un score moyen d’environ 50 mots correctement lus par minute correspondait à un score moyen de compréhension de la lecture. Ils ont ensuite examiné les relations entre le décodage, la fluence, la compréhension de la lecture et leurs compétences associées, c’est-à-dire la segmentation phonémique, le vocabulaire et la compréhension orale. La nature causale des liens entre le décodage, la fluence et la compréhension de la lecture a été examinée de deux manières : hypothétique et expérimentale. La modélisation structurelle a montré que la fluence était une variable médiatrice entre le décodage et la compréhension de la lecture et que le niveau de fluence permettait d’expliquer le niveau de compréhension. La comparaison entre les groupes témoins et expérimentaux a montré que l’intervention a eu un effet positif sur la compréhension de la lecture, même si la compréhension linguistique n’a pas été stimulée. Les chercheurs concluent que la fluence doit être stimulée une fois que le décodage est efficace.

Synthèse :

L’objectif de la présente étude est d’approfondir les relations entre les trois composantes essentielles de la lecture : le décodage, la fluence et la compréhension de la lecture. Les auteurs souhaitent ici mettre au jour les relations causales qui sont à l’œuvre entre ces trois composantes étroitement liées, en questionnant notamment le rôle de la fluence en tant que variable médiatrice entre le décodage et la compréhension. Une expérimentation a été menée auprès d’enfants francophones scolarisés en CP, pendant la période où ils acquièrent une maîtrise du décodage et deviennent capables de lire des textes avec une fluidité croissante. Deux groupes ont été formés pour répondre à ces questions : un premier groupe témoin qui n’a connu aucune intervention spécifique et un second groupe expérimental qui a bénéficié d’une formation axée sur les compétences de code et de fluence.

Les auteurs s’intéressent d’abord à la définition de la maîtrise de la lecture : le décodage correspond à la traduction de chaînes de lettres en unités phonologiques, la fluence se réfère à la lecture automatisée de mots et la compréhension de la lecture consiste à extraire le sens d’un texte. Plus spécifiquement, la fluence est un concept complexe qui présente de multiples facettes : elle combine à la fois la précision, la vitesse et la prosodie de la lecture orale, ces trois éléments facilitant ensemble la construction de sens par le lecteur (Kuhn et al., 2010). Dans la littérature scientifique, la fluence de lecture est ainsi considérée comme un « pont » entre le décodage et la compréhension de la lecture (Pikulski & Chard, 2005). Elle peut être mesurée à différents niveaux : au niveau sublexical (au niveau des lettres), lexical (au niveau des mots) et au niveau des textes connectés, aussi appelée « lecture de passages » (PRF). Cette dernière option de mesure (PRF) permet d’examiner plus en détail la relation entre la fluence et la compréhension en lecture que ne le permet la mesure de la fluence de lecture de mots (ORF) (Fuchs et al., 2001 ; Jenkis et al., 2003 ; Klauda & Guthrie, 2008 ; Wolf & Katzir-Cohen, 2001). L’hypothèse qui peut être avancée est que la fluence de lecture de textes connectés est influencée par des capacités linguistiques orales, en plus des compétences de décodage.

Solari et al. (2018) ont notamment constaté que la fluence de lecture de textes connectés était le prédicteur le plus fort de la compréhension en lecture chez les élèves de CP au début de l’année. Ces auteurs ont aussi montré que la relation entre ces deux composantes pouvait varier selon le niveau de maîtrise de la lecture des enfants. Pour les enfants identifiés comme étant « sans risque d’échec en lecture », la fluence, le décodage et la compréhension orale contribuaient individuellement à la compréhension de la lecture, tandis que chez les lecteurs précoces en difficulté, le décodage n’était lié à la compréhension que par le biais de la fluence et la compréhension orale n’apparaissait pas comme significativement prédictive de la compréhension de la lecture. Cette recherche soulève l’intérêt de comprendre l’effet prédicteur de la fluence de textes connectés (PRF) sur la compréhension, notamment chez les enfants qui présentent un faible niveau de maîtrise de la lecture. En effet, les différences de maîtrise de la lecture en début de CP ont un effet sur le développement de la maîtrise de la lecture tout au long de l’année de CP. Ainsi, la fluence de lecture de textes (PRF) permet de mieux prédire la compréhension de la lecture que d’autres mesures directes de compréhension comme le questionnement ou la reformulation (Fuchs et al., 2001). C’est donc à partir de la mesure de la fluence de lecture de textes (PRF) que les chercheurs vont mener l’expérimentation.

D’autres études se sont intéressées au rôle de la lecture répétée dans l’amélioration de la fluence de lecture. La lecture répétée consiste à lire oralement un texte court à plusieurs reprises et de bénéficier de corrections de la part de l’enseignant jusqu’à ce qu’un niveau satisfaisant de fluence soit atteint, tant au niveau de la rapidité, de la précision que de la prosodie de lecture. C’est l’une des interventions les plus couramment utilisées pour améliorer la fluence et la compréhension : lorsque l’identification des mots est automatisée, les élèves peuvent se concentrer sur le sens du texte lu. Si de nombreuses enquêtes montrent que la lecture répétée est une intervention efficace pour améliorer la fluence de lecture, notamment auprès des enfants débutants ou ceux ayant des difficultés en lecture, peu d’entre elles ont été menées auprès d’enfants de CP, les rares études existantes ayant utilisé de petits échantillons.

Dans le présent article, plusieurs questions ont ainsi guidé la recherche. Si la littérature scientifique a montré l’existence de liens étroits entre le décodage, la fluence et la compréhension écrite, comment s’articulent les relations entre ces trois composantes et entre les covariables que sont la conscience phonémique, le vocabulaire et la compréhension orale ? D’autre part, si la fluence de lecture apparaît comme prédictive de la compréhension de la lecture, à partir de quel seuil (combien de mots correctement lus par minute) les enfants obtiennent-ils des scores moyens ou supérieurs à la moyenne en compréhension ? Enfin, quel est l’impact d’une formation axée sur les compétences liées au code et plus particulièrement à la fluence sur la compréhension de la lecture des élèves de CP ?

L’expérimentation a concerné 2786 enfants scolarisés dans des écoles en REP (Réseau d’Education Prioritaire) répartis dans plusieurs régions de France. Elle a été menée avec des enseignants volontaires et a été approuvée par les autorités académiques. Les élèves ont été répartis en deux groupes : un premier groupe témoin composé de 2302 enfants pour lequel aucune intervention spécifique n’a été mise en place, et un second groupe expérimental avec 484 enfants qui ont bénéficié d’un enseignement différencié en fonction de leurs compétences en littératie. Cette intervention était axée sur les compétences de code : les compétences phonologiques, l’apprentissage du son des lettres, le décodage puis la fluence. Les exercices de fluence étaient proposés aux élèves lorsqu’ils obtenaient de bonnes performances en décodage et consistaient à la lecture répétée de textes courts. La prosodie n’a pas été stimulée pendant ce module de formation. Les enseignants ont prévu un temps d’enseignement spécifique pour la lecture avec des petits groupes d’enfants en fonction de leur niveau d’alphabétisation. La quantité de formation n’est donc pas la même pour tous les élèves, ceux ayant le niveau initial le plus bas ayant bénéficié d’un temps d’entraînement plus important. En moyenne, les classes étaient composées de vingt élèves dans les deux groupes et l’âge moyen des élèves était de 6,4 ans lors de la première évaluation. Deux tests ont été passées par les élèves, l’un avant le programme d’apprentissage (t1) et le second après qu’il ait eu lieu (t2) (ou non, selon le groupe expérimental ou contrôle). Certains exercices ont été passés collectivement, en petits groupes de 4 à 6 élèves, et d’autres individuellement. Les évaluations portaient sur la conscience phonémique, le décodage, le vocabulaire, la maîtrise de la langue et la compréhension orale et écrite.

Plusieurs résultats ont été mis au jour. D’abord, un coefficient de corrélation élevé entre la fluence de lecture de textes (PRF) et la compréhension en lecture a été confirmé. Les chercheurs ont observé une progression linéaire entre la performance en compréhension et la performance en fluence, sauf pour les scores les plus faibles de l’expérimentation. La fluence apparaît ainsi comme une variable médiatrice entre le décodage et la compréhension, dans la mesure où de bonnes compétences en décodage permettent d’atteindre un niveau de fluence suffisant, ce dernier étant nécessaire à l’accès à la compréhension. D’autres relations causales ont également été soulignées : la segmentation phonémique est liée au décodage et à la fluence, le vocabulaire est lié à la fluence et à la compréhension de la lecture, tout comme la compréhension orale est liée à la compréhension en lecture. Ces résultats confirment ceux précédemment démontrés dans la littérature scientifique.  D’autre part, lorsque l’on examine l’effet de la formation qui visait à stimuler les compétences liées au code sur la compréhension de la lecture, on constate que le groupe expérimental qui a bénéficié de ce temps spécifique est et significativement plus performant que le groupe contrôle pour les compétences de fluence et de compréhension de la lecture. Les résultats montrent également que le seuil de fluence correspondant à un score moyen en compréhension de la lecture s’élève à 48,6 mots par minute. Les chercheurs considèrent ainsi qu’à partir de 50 mots correctement lus à la minute (MCLM), les élèves de CP sont capables d’utiliser leurs compétences de compréhension pour saisir le sens d’un texte. La lecture de mots étant automatisée, les ressources cognitives de l’enfant sont libérées pour la compréhension du texte. La fluence ne peut donc être stimulée que si un certain niveau de décodage a été atteint, particulièrement auprès d’élèves présentant des difficultés en lecture.

Pour conclure, l’analyse démontre l’importance des effets directs et indirects du décodage sur la compréhension en lecture via la fluence comme compétence intermédiaire. L’expérimentation menée auprès de deux groupes contrôle et expérimental, ce dernier ayant bénéficié d’un programme d’apprentissage basé sur les compétences de code et de fluence, a confirmé l’effet positif de cette formation sur la compréhension de la lecture chez les élèves de CP. Les résultats soulignent également les relations causales entre les composantes de la lecture qui impliquent une compréhension plus efficace dès lors que les enfants atteignent un niveau de fluence suffisant, estimé à 50 mots correctement lus par minute. Ces résultats plaident en faveur d’interventions axées sur le renforcement des compétences de décodage et à la stimulation de la fluence par des lectures répétées chez les enfants qui éprouvent des difficultés dans l’apprentissage de la lecture. Ce type d’entraînement a un impact positif sur la compréhension en lecture lorsqu’il est proposé dès la première année d’enseignement à l’école élémentaire. D’autres recherches ont également montré que les programmes d’apprentissage basés sur la compréhension orale ont des effets positifs sur la compréhension en lecture. Les chercheurs recommandent donc la mise en place d’interventions dans ces deux domaines (code et sens) pour les apprentis lecteurs en difficulté.

A lire sur le même sujet :

Ø  Dujardin E., Ecalle J., Auphan P., Bailloud N., Magnan, A. « Vocabulary and reading comprehension: what are the links in 7 to 10 year-old children? », Scandinavian Journal of Psychology, 64, 582–594, 2023.

Ø  Ecalle J., Magnan A., Auphan P. et al. « Effects of targeted interventions and of specific instructional time on reading ability in French children in grade 1 », European Journal of Psychology of Education, 37, 605-625, 2022.

URL :

https://doi.org/10.1080/10573569.2020.1846007

Mots-clés :

fluence, compréhension, décodage, CP

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