Temps disponible et temps nécessaire pour apprendre à lire : le défi des 35 heures

Articles scientifiques

Bougnères A., Suchaut B. « Temps disponible et temps nécessaire pour apprendre à lire : le défi des 35 heures », URSP, Université de Lausanne, 2015.

Résumé :

L’école française donne-t-elle le temps d’apprendre à lire à ses élèves ? C’est la question à laquelle Bruno Suchaut et Alice Bougnères ont tenté de répondre en comparant le temps disponible d’enseignement de la lecture en classe avec le temps nécessaire aux élèves pour devenir lecteurs. Pour les auteurs, les élèves les plus fragiles ont besoin de 35 heures d’engagement individuel pour apprendre à lire contre une vingtaine d’heures disponibles en classe. L’enjeu réside donc dans la mise à disposition de temps supplémentaire pour permettre à tous les élèves d’acquérir les compétences essentielles à la maîtrise de la lecture.

Synthèse :

Le constat de la dégradation des acquis des élèves les plus fragiles et du déterminisme précoce de la réussite scolaire questionne la capacité de l’école à donner les moyens aux élèves d’accéder aux savoirs fondamentaux. La notion « d’effet Matthieu » a montré que les inégalités scolaires s’amplifient au fur et à mesure de la scolarité : le niveau à l’entrée au CP influe d’autant plus sur la carrière des élèves qu’ils ont les acquis initiaux les plus faibles. Une des variables clés qui pourrait expliquer ces inégalités serait le temps accordé à ces apprentissages et plus particulièrement le temps d’engagement individuel de chaque élève : les élèves qui ont des difficultés à comprendre un texte écrit en quittant l’école élémentaire n’auraient pas disposé d’un « temps engagé » suffisant pour apprendre à lire.

La recherche a montré que les résultats des élèves s’améliorent avec l’allongement du temps consacré à la lecture par l’enseignant. Toutefois, le temps passé en classe ne correspond pas au temps d’enseignement effectif, ni au temps d’apprentissage de chaque élève. Bruno Suchaut et Alice Bougnères ont donc souhaité mettre en perspective le temps d’enseignement disponible à l’école et le temps nécessaire aux élèves les plus fragiles pour apprendre à lire. A travers l’observation de plusieurs centaines de classes de Grande Section, CP et CE1 engagées dans le Projet « Lecture » de l’association Agir pour l’Ecole entre 2011 et 2014, les auteurs ont quantifié le temps d’engagement individuel des élèves en lecture. Ce temps, considéré comme un des leviers principaux de l’efficacité pédagogique, correspond à la « quantité d’instruction réelle de l’élève », aux moments où il est manifestement engagé dans la tâche. Au cours de l’année de CP, le temps d’apprentissage individuel disponible pour la lecture s’élèverait donc au maximum à une vingtaine d’heures pour les élèves les plus en difficulté (voir Annexe 3).

Ce volume horaire disponible contraste avec le temps nécessaire à l’apprentissage de la lecture. En effet, pour que les élèves les plus fragiles acquièrent une conscience phonologique, la connaissance du son des lettres, l’automatisation du décodage et la fluence de lecture, les auteurs estiment que près de 35 heures d’engagement individuel sont nécessaires (voir Annexe 4). Cette inadéquation entre le temps qu’un enseignant peut offrir à ses élèves en classe et le temps dont ceux-ci ont besoin pour apprendre à lire soulève la difficulté d’offrir aux élèves fragiles le temps individuel d’apprentissage dont ils ont besoin. Les auteurs formulent ainsi des propositions pour aligner le temps disponible aux besoins réels des élèves. Ils suggèrent d’optimiser les temps pendant lesquels l’élève est engagé à l’école sur l’apprentissage de la lecture : dédoublement des classes, petits groupes de niveaux, travail autonome pour réinvestir les compétences travaillées… Ils proposent également de dégager du temps d’enseignement supplémentaire consacré à la lecture pour prévenir au plus tôt la difficulté, à la fois sur le temps scolaire dans les classes de Grande Section, CP ou en CE1 et pendant les activités périscolaires et les vacances.

A lire sur le même sujet :

Ø  Ecalle J., Magnan A., Auphan P. et al. « Effects of targeted interventions and of specific instructional time on reading ability in French children in grade 1 », European Journal of Psychology of Education, 37, 605-625, 2022.

URL :

https://www.cafepedagogique.net/2015/01/21/b-suchaut-temps-disponible-et-temps-necessaire-pour-apprendre-a-lire-le-defi-des-35-heures/

Mots-clés :

temps d’engagement individuel, 35 heures, Projet Lecture, Agir pour l’Ecole, lecture, CP, CE1

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